Dans son édition des samedi 6 et dimanche 7 septembre dernier, Le Devoir publiait un cahier complet sur la question de l’alphabétisation. Plus particulièrement, un article écrit par Martine Letarte («À la rescousse de l'économie canadienne») levait le voile sur le déficit en littératie d’une majorité de Québécois. Ainsi, 54% des adultes ne possèdent pas de compétences suffisantes pour lire et comprendre un texte explicatif. Sur l’échelle de mesure de littératie (divisée en cinq paliers), ces individus n’atteignent que les niveaux un ou deux. Or, le niveau trois est maintenant requis pour fonctionner adéquatement dans la société d’aujourd’hui.
Afin d’assurer sa compétitivité économique à l’échelle mondiale, notre société dite « des savoirs » sollicite effectivement de plus en plus la qualification et l’adaptabilité des travailleurs (Normand Thériault, «Les porteurs d’eau sont de retour»), exigences qui riment implicitement avec formation et perfectionnement. Or, de telles attentes professionnelles laissent derrière de nombreux individus qui, faute de compétences suffisantes en lecture et en écriture, sont devenus incapables de trouver (ou retrouver) leur niche sur le marché du travail; une situation qui n’épargne pas même les jeunes puisque 41% des 16 à 25 ans ne possèdent pas un niveau de littératie suffisant.
L'exclusion technologique
Si l’on se fie aux propos de Robert Bibeau (Septembre-Octobre 2006,Vie pédagogique, «Vous avez dit société numérique du savoir ?»), la société actuelle ne serait plus seulement une «société des savoirs», elle serait aussi «numérique». Loin d'échanger une exigence professionnelle (la nécessaire spécialisation) pour une autre (le développement de compétences en matière de TIC) cette mutation sociétale a pour effet d’augmenter les conditions préalables à l’emploi, provoquant du même coup l’accroissement du fossé entre les gens adaptés à la nouvelle économie et ceux qui ne le sont pas.
Robert Bibeau évoque d’ailleurs l’idée de «fracture numérique», soit «l’inégalité dans l’accès et surtout dans l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC).» Si au sud, les 2.5 milliards de personnes vivant avec moins de deux dollars par jour (Rapport mondial sur le développement humain du PNUD, 2005) comptent certainement pour la majorité du «tiers-monde virtuel», au nord, le portrait-type de l’a-numérique apparaît moins clair.
Littératie et technologies
Durant les années 1990, lors de la généralisation des applications informatiques, les aînés ont été vus comme les principaux exclus des technologies. Aujourd’hui, les individus peu scolarisés sont ceux qui bénéficient le moins des TIC.
Plusieurs personnes âgées présentent peut-être toujours un retard dans la maîtrise des technologies. Toutefois, il leur suffit d’une initiation aux outils informatiques pour qu’elles parviennent à les utiliser (Le Devoir:«Ils m'ont enlevé la peur d'aller sur Internet»). Or, la démystification des technologies n’est pas si aisée pour les lecteurs peu expérimentés puisque même si les TIC offrent aujourd’hui plus d’interfaces graphiques qu’à leurs débuts, leur contenu et leurs chemins d’accès continuent d’être surtout textuels.
Un faible niveau de littératie permet peut-être le visionnement de vidéos ou le téléchargement de fichiers mais il empêche l'essentiel: l'usage de logiciels généraux, l'emploi de ressources documentaires (médias électroniques ou encyclopédies en ligne), mais surtout, l'utilisation d'applications spécialisées. En ce sens, si certains emplois pouvaient jadis s'apprendre sur le tas, ils nécessitent maintenant la maîtrise d'outils informatiques (Spectra dans le domaine textile, AutoCAD pour l'ébénisterie en série). Ainsi, un niveau peu élevé de littératie limite les possibilités de formation et mine donc l’employabilité.
En somme, loin de s'alléger, le défi éducationnel québécois et mondial est devenu double : Alphabétisation d’abord et numérisation ensuite.