jeudi 30 octobre 2008

Quand l'analphabète se fait a-numérique

Littératie et économie

Dans son édition des samedi 6 et dimanche 7 septembre dernier, Le Devoir publiait un cahier complet sur la question de l’alphabétisation. Plus particulièrement, un article écrit par Martine Letarte («À la rescousse de l'économie canadienne») levait le voile sur le déficit en littératie d’une majorité de Québécois. Ainsi, 54% des adultes ne possèdent pas de compétences suffisantes pour lire et comprendre un texte explicatif. Sur l’échelle de mesure de littératie (divisée en cinq paliers), ces individus n’atteignent que les niveaux un ou deux. Or, le niveau trois est maintenant requis pour fonctionner adéquatement dans la société d’aujourd’hui.

Afin d’assurer sa compétitivité économique à l’échelle mondiale, notre société dite « des savoirs » sollicite effectivement de plus en plus la qualification et l’adaptabilité des travailleurs (Normand Thériault, «Les porteurs d’eau sont de retour»), exigences qui riment implicitement avec formation et perfectionnement. Or, de telles attentes professionnelles laissent derrière de nombreux individus qui, faute de compétences suffisantes en lecture et en écriture, sont devenus incapables de trouver (ou retrouver) leur niche sur le marché du travail; une situation qui n’épargne pas même les jeunes puisque 41% des 16 à 25 ans ne possèdent pas un niveau de littératie suffisant.

L'exclusion technologique

Si l’on se fie aux propos de Robert Bibeau (Septembre-Octobre 2006,Vie pédagogique, «Vous avez dit société numérique du savoir ?»), la société actuelle ne serait plus seulement une «société des savoirs», elle serait aussi «numérique». Loin d'échanger une exigence professionnelle (la nécessaire spécialisation) pour une autre (le développement de compétences en matière de TIC) cette mutation sociétale a pour effet d’augmenter les conditions préalables à l’emploi, provoquant du même coup l’accroissement du fossé entre les gens adaptés à la nouvelle économie et ceux qui ne le sont pas.

Robert Bibeau évoque d’ailleurs l’idée de «fracture numérique», soit «l’inégalité dans l’accès et surtout dans l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC).» Si au sud, les 2.5 milliards de personnes vivant avec moins de deux dollars par jour (Rapport mondial sur le développement humain du PNUD, 2005) comptent certainement pour la majorité du «tiers-monde virtuel», au nord, le portrait-type de l’a-numérique apparaît moins clair.

Littératie et technologies

Durant les années 1990, lors de la généralisation des applications informatiques, les aînés ont été vus comme les principaux exclus des technologies. Aujourd’hui, les individus peu scolarisés sont ceux qui bénéficient le moins des TIC. 

Plusieurs personnes âgées présentent peut-être toujours un retard dans la maîtrise des technologies. Toutefois, il leur suffit d’une initiation aux outils informatiques pour qu’elles parviennent à les utiliser (Le Devoir:«Ils m'ont enlevé la peur d'aller sur Internet»). Or, la démystification des technologies n’est pas si aisée pour les lecteurs peu expérimentés puisque même si les TIC offrent aujourd’hui plus d’interfaces graphiques qu’à leurs débuts, leur contenu et leurs chemins d’accès continuent d’être surtout textuels. 

Un faible niveau de littératie permet peut-être le visionnement de vidéos ou le téléchargement de fichiers mais il empêche l'essentiel: l'usage de logiciels généraux, l'emploi de ressources documentaires (médias électroniques ou encyclopédies en ligne), mais surtout, l'utilisation d'applications spécialisées. En ce sens, si certains emplois pouvaient jadis s'apprendre sur le tas, ils nécessitent maintenant la maîtrise d'outils informatiques (Spectra dans le domaine textile, AutoCAD pour l'ébénisterie en série). Ainsi, un niveau peu élevé de littératie limite les possibilités de formation et mine donc l’employabilité.

En somme, loin de s'alléger, le défi éducationnel québécois et mondial est devenu double : Alphabétisation d’abord et numérisation ensuite.

samedi 11 octobre 2008

Vous avez dit «fracture numérique» ?

Hier soir à l’émission Une heure sur Terre, j’ai pu voir un reportage traitant de la scolarisation au Sénégal. Là-bas, l’oeuvre d’alphabétisation de la fondation Paul Guérin-Lajoie (PGL) se trouve en péril. Des modifications aux modes de distribution de l’aide financière qu’accordent plusieurs pays occidentaux à l’Afrique sont à l’origine de la situation. Ainsi, si auparavant PGL venait en aide à plus de 200 écoles, elle n’en soutient plus qu’une quarantaine. Et celles-ci se trouvent maintenant dans un état pitoyable: Toits menaçants de s’effondrer, murs nécessitants des poutres de soutènement, classes surpeuplées et manque criant de matériel scolaire (lire ici des dictionnaires, des ardoises et des craies !).

Vous avez dit «fracture numérique» ?

Il est désolant de voir que loin de se combler, le fossé entre le Nord et le Sud s’agrandit sans cesse: alors que nous nous pâmons maintenant devant le grand potentiel éducatif des TIC, d’autres se considèrent chanceux de fréquenter l’école jusqu’à la fin du primaire !

En ce sens, par souci d’équité, certains voient d’un bon oeil l’initiative One laptop per child, par laquelle on souhaite «fournir des opportunités éducatives aux enfants les plus pauvres de la planète» en leur offrant un ordinateur de base... fonctionnant à la bonne vieille huile à coude ! Or, cette nécessaire manivelle produisant de l’électricité comme au temps des dynamos devrait suffire à nous faire comprendre qu’ici, nous ne procédons certainement pas dans l’ordre.

En effet, plusieurs pays africains demeurent encore sous-développés ou présentent un faible niveau de développement. Les Africains ne sont pas maîtres de leurs économies primaire et secondaire et nous voudrions tout de même les aider à développer une économie des savoirs numériques ? L’autogestion de leurs ressources naturelles et l’accès à une éducation de base pour tous les enfants apparaissent être des solutions bien plus pertinentes que celle d’introduire quelques enfants africains aux bienfaits des TIC.

Ce n’est pas tant le projet One Laptop per Child qui soit ici problématique. Il semble même pertinent dans une économie mondiale qui vibrera bientôt totalement au rythme du numérique. Toutefois, prise indépendamment, cette initiative demeure un coup d’épée dans l’eau, une aide factice destinée à masquer la réelle mainmise de l’Occident sur l’économie africaine. Pour aider, il ne faut pas seulement tendre des outils, il faut aussi défaire les chaînes.


Voir aussi:

Nicholas Negroponte: "The vision behind One Laptop Per Child"



Cette conférence provient de TED: Ideas worth spreading, un site extrêmement riche en vidéos disponibles pour la baladodiffusion. TED s’avère particulièrement utile pour qui compte s’intéresse aux technologies, au design ou à l’art.

lundi 22 septembre 2008

Du cancre au papillon

Le lendemain de mon visionnement du film Le Banquet, j’ai mis la main sur un court article paru trois semaines auparavant, dans le Courrier International (no 929, 21 au 27 août 2008, p.7). «L’ascenseur social» faisait état d’une initiative mise sur pied en France et visant la mixité sociale et l’égalité des chances pour les jeunes prometteurs issus des modestes cités. Le programme «Une grande école, pourquoi pas moi ?» encourage ces derniers à la poursuite d'études supérieures en favorisant chez eux la construction de compétences et de comportements désirables en milieu scolaire. Ainsi, le projet permet notamment de développer la curiosité intellectuelle, l’aisance verbale, le sens de l’argumentation et la construction d’un projet personnel et professionnel et ce, grâce à des ateliers spécialisés animés par des sociologues, à des sorties culturelles et à des stages en entreprise. Au terme de l’expérience, 95% des participants qui passaient leur bac (niveau collégial) ont réussi. Comme quoi les bons outils donnent les ailes nécessaires à l'obtention du capital symbolique qui, bien qu'il ne garantisse pas l’ascension sociale, peut la faciliter.

jeudi 18 septembre 2008

Le cancre sans passé

Oeuvre chorale, le film Le Banquet du cinéaste Sébastien Rose suit le parcours de quelques personnages sur fond de grève universitaire. Si a priori le conflit que dépeint le film est de nature inter-générationnelle par l'illustration d'une opposition marquée entre la jeunesse étudiante et le corps professoral issu du baby-boom, le clivage qu’il expose réellement est plutôt d’ordre social.

Assez étonnement, le film permute la typologie propre aux exclus sociaux avec celle des individus généralement inclus socialement. En ce sens, le personnage du talentueux-et-intègre-leader-étudiant est issu d’un milieu ethnique modeste tandis que la fille-mère-décrocheuse-et-toxicomane provient d’une famille bourgeoise blanche.

En optant pour une telle caractérisation des personnages, Le Banquet tente de démontrer le succès du principe d’égalité des chances dans la société québécoise. En tant que simples caractéristiques individuelles, l’origine sociale, la situation économique, le sexe et la communauté ethno-culturelle d’appartenance seraient alors sans conséquences sur la réussite scolaire. Ainsi, les inégalités présentes ne seraient donc pas sociales mais bien, naturelles.

Or, cette thèse bénéficie d’une défense plutôt inégale tout au long du film. En effet, contrairement aux autres protagonistes, les personnages du leader-étudiant-bagarreur-et-arriviste et du cancre-arrogant-et-désaxé sont décontextualisés. C’est donc simplement sur parole qu’on nous invite à croire que leurs comportements scolaires condamnables (opportunisme pour l’un, harcèlement et violence pour l’autre) ne sont pas en lien avec leur environnement social. Pourtant, les incidences négatives sur la réussite scolaire de facteurs tels que l’immigration, la pauvreté, la défavorisation économique et les rapports hommes/femmes en mutation sont connues.

C’est donc avec une certaine démagogie qu’on veut nous faire admettre que l’accession aux études supérieures d’étudiants faibles ou peu méritants doit cesser puisqu’elle met en péril le niveau d’enseignement. Si la réussite scolaire ne dépendait que de la volonté individuelle, il serait aisé de se ranger du côté de cette opinion. Toutefois, elle découle de facteurs sociaux. Ainsi, contrairement à ce que cherche à affirmer l’équipe scénaristique, la solution au problème de la qualité de l’éducation ne se trouve pas dans l’élitisme passé mais plutôt dans l’irradiation des inégalités sociales. En somme, à l’égalité des chances doit maintenant succéder l’égalité des acquis.

mercredi 17 septembre 2008

Quelques mots...

Quelques mots pour vous souhaiter la bienvenue dans cet espace virtuel qui est le mien. J'y partagerai des réflexions et des découvertes en lien avec le monde de l'éducation.